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  • Photo du rédacteurJeanne Roy

La peur de la colère

Dernière mise à jour : 21 déc. 2023


C’est une longue histoire. Elle remonte à la petite enfance et elle se perpétue à travers la tradition et l’éducation.

 

À l’âge crucial de l’attachement (0-5 ans), le petit enfant est très dépendant. Il a besoin d’adultes pour lui apporter nourriture, toit, affection et réconfort. Il a besoin de ressentir qu’il est accepté de façon inconditionnelle, et que rien ne peut venir menacer son lien de « proximité-sécurité » avec son parent.

 

Dans le cerveau du petit humain, se trouve une sorte d’alarme dite angoisse de séparation. Elle est présente dès de début de la vie, et est particulièrement sensible durant l’enfance.

 

Une des clefs pour construire une confiance en soi, est celle de l’écoute et du soutien aux émotions, et plus spécifiquement celle de la colère. Un enfant fâché est un enfant en détresse. Tout son corps est en tension et tout vibre en dedans. Il ne peut se contrôler (immaturité cérébrale) et il cherche désespérément l’aide d’un adulte. En recevant une réponse rassurante, il peut se décharger sans crainte et progressivement, se sentir en sécurité pour accepter ce qu’il vit.

 

Quand l’adulte critique la colère, veut la faire taire à tout prix, met l’enfant en retrait pour le « faire réfléchir », sans le vouloir, il active l’alarme de séparation.  À la longue, à force de répétition, l’enfant va bloquer la colère, soit en boudant, en se cachant, en chignant, en s’agitant. En fait, il essaie par ces moyens de refouler la colère car il craint de perdre ce qu’il a de plus précieux au monde, son parent.

 

Il est normal (c’est dans la nature) que l’enfant vive toutes sortes d’émotions, et la colère en fait partie. Elle est innée, comme le besoin de proximité, de manger, de boire, etc… Si elle est là, c’est qu’elle a une utilité.  Imagine, si le petit ne pouvait crier quand par mégarde l’eau est trop chaude!  Comment pourrais-tu savoir qu’il a mal? Il se fâche pour son bien-être physique.  Également, il se met en colère pour montrer ce qui ne lui plaît pas, ce qu’il trouve trop dur, ce qu’il aimerait faire et qu’il ne peut pas ou que l’adulte ne veut pas. Manifester sa frustration, lui permet de libérer le trop plein, d’apprendre à recevoir de l’aide et de mieux se connaître. Il se fâche pour son bien-être émotionnel et pour préserver son identité naissante.

 

Quand l’adulte ne voit pas les bienfaits de la colère et qu’il prend une distance (les gros yeux, les cris, l’ignorance, l’éloignement), l’alarme de séparation résonne et c’est pire que tout pour l’enfant. Il vaut mieux se piler dessus, ne pas écouter ce qu’il ressent et faire ce que le parent demande (être gentil-raisonnable) pour éviter de le perdre. L’alarme de séparation reste en veille et la colère est toujours là. Et il ne sait pas quoi en faire. Il ne l’aime pas, il a honte et elle lui fait peur.

 

La plupart des adultes d’aujourd’hui, (je fais partie de la gang) ont vécu la peur de la colère. Elle est dans notre bagage et le monde environnant ne nous aide pas à nous en défaire.  Dans la culture ambiante, une personne reçoit des félicitations pour sa bonne humeur, son calme (voir refoulement) et son côté positif.  As-tu déjà été louangé pour avoir parlé de tes besoins, pour avoir dénoncer l’injustice, pour avoir nommé ce qui t’as blessé? As-tu déjà eu un Bravo et une appréciation du type : « Ça valait la peine de dire ce qui t’as fâché, car tu as fait changer des choses ou encore, tu t’es fait respecter en mettant tes limites ». Il est rare de recevoir des compliments pour avoir exprimé sa colère.

 

Enfant, l’apprentissage de la colère s’est résumé à la faire taire, à ne pas la ressentir, à se déconnecter pour ne pas être rejeté.  L’alarme de séparation est restée activée au lieu d’être apaisée et la colère a été emmurée. Nous avons appris à l’étouffer soit en boudant (péter les plombs à l’intérieur) ou en explosant (péter les plombs à l’extérieur). Les 2 formes sont dommageables, autour de nous, et en nous, c’est la conception que nous avons de l’expression de la colère.

 

Ressentir les sensations (ces messages envoyés par le corps), être capable de l’associer à l’émotion, la faire vivre en échangeant et en se mettant en mouvement, voilà des manières d’exprimer la colère, le savoir-être dans sa vérité.

 

Bloquer dans le corps, la colère réprimée engendre un grand stress. Gabor Maté (médecin) dans Quand le corps dit non :  Le stress qui démolit, souligne que le refoulement (implosion-explosion) laisse une personne dans un état de stress chronique, « et ce stress chronique crée dans l’organisme un milieu biochimique anormal. »* Ne pas traduire la colère par des mots et des actions favorise l’anxiété et peut provoquer diverses maladies.

 

La colère occultée a pris naissance dans la petite enfance. Elle a été engendrée par la peur de perdre, la peur de ne pas être assez bien pour son parent.  Cette peur est inscrite dans la mémoire du corps (mémoire dite implicite). À l’âge adulte, elle est toujours là : peur de déplaire, de ne pas être à la hauteur, de prendre sa place ou d’être exclu.

 

De plus, cette peur en nous, remplit notre esprit de croyances paralysantes. Quelques exemples : « il y a des choses plus graves que ça (ne pas réagir à l’injustice) ou c’est la chose la plus grave (surréagir à l’injustice); j’aime mieux ne rien dire pour ne pas créer de froid, de conflit (négation des besoins) ; je le reçois même si je n’ai pas le temps (non-respect des limites personnelles\incapacité de dire non); j’ai raison et l'autre ne fait pas ce que je dis et j'éclate (se sentir attaquer par la volonté de l'autre); je n’ai pas le droit d’être en colère c’est faible, c’est honteux ou ce n’est pas aimable.

 

Les pensées énumérées ci-dessus sont incomplètes mais elles nous donnent une idée de comment cette peur ancienne continue à nous influencer.

 

En prendre conscience est un grand pas; se mettre à l’écoute des sensations pour sentir l’émotion, dire les vraies choses dans le respect de soi et des autres, facilite la voie de l’auto-régulation, permet de sortir de l’impuissance et de se sentir forte et fort.

 

La colère est innée et nécessaire pour défendre nos besoins, nos valeurs, nos droits et nos limites. 



La colère a permis entre autres, la fin de l’esclavage pour les noirs, le droit de vote pour les femmes, le mouvement « Moi aussi ». Cet automne 2023, la colère apporte le courage aux femmes et aux hommes qui travaillent dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation de manifester leur mécontentement et leur droit à de meilleures conditions de travail et à un salaire décent.

 

La colère exprimée et non réprimée entraîne de multiples bénéfices 

Au lieu de se résigner, elle nous pousse à agir pour apporter des changements personnels et collectifs.

 

Elle nous apprend à dire non quand c’est nécessaire. Toujours avoir en tête: Quand je dis oui à une personne, je dois m’assurer que je ne me dis pas non. La période des fêtes est un moment idéal pour se pratiquer à mettre ses limites pour la joie de se respecter!

 

La colère est une émotion vitale, noble et qui vaut la peine d’être apprivoisée sous un nouvel angle. Elle libère le stress et favorise la santé physique et psychologique.

 

 

À relire :

 

*p. 121 - Édition 2017

 

Cerveau libéré: Image par Rosy / Bad Homburg / Germany de Pixabay

Femme qui se fait respecter: Image par Baka C de Pixabay

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